Très sensible est la question de la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre (GES). Surtout vrai quand on s’interroge sur la différence de responsabilité individuelle entre les plus hauts et les plus bas revenus, que ce soit à l’échelle mondiale ou à celui d’un pays. D’où l’importance de réussir à la comptabiliser de la manière la plus objective qui soit.
Le célèbre adage « on fait dire ce qu’on veut aux chiffres » va encore se vérifier ici. Les conclusions seront différentes selon la méthode de comptabilisation des émissions choisie.
Concernant l’évaluation des responsabilités individuelles en fonction du revenu, la méthode habituellement utilisée est celle de la comptabilité à la consommation. La difficulté consiste à identifier toutes les émissions, directes et indirectes, liées à l’acte de consommation. Par exemple, si nous prenons l’usage d’une voiture, nous prendrons les émissions directes de son usage via le combustible utilisé et les indirectes issues de sa fabrication. C’est assez proche du concept de l’énergie primaire, notion souvent abordée dans nos articles.
Cette méthode démontre sans grande surprise que l’empreinte carbone d’un individu augmente avec son niveau de vie, que celui-ci soit mesuré en termes de revenus ou de dépenses de consommation. Ce critère ressort majoritaire, bien devant d’autres facteurs comme ceux du climat, du degré d’instruction, ou encore de vivre en milieu urbain ou non. Ceci se vérifie par ailleurs pour d’autres empreintes environnementales, comme celles liées à la consommation d’eau et la production de déchets. L’autre fait marquant montré via cette méthode est que l’empreinte carbone augmente moins vite que le revenu. Ce qui s’explique car les consommations induites par le chauffage et les transports n’augmentent pas de la même manière, alors que ce sont les postes les plus importants quant au calcul de cette emprunte carbone. Cependant, le niveau de différence entre les catégories extrêmes s’avère très important. En effet, selon les études des économistes Chancel et Piketty et de Oxfam au niveau mondial, l’individu moyen appartenant aux 10 % des revenus les plus élevés émet 50 à 60 fois plus de GES que l’individu moyen appartenant aux 10 % des revenus les plus bas.
A l’échelle du même pays, l’écart sera bien moindre, comme en France, où il est de deux à quatre fois. Ceci peut aussi s’expliquer du fait du système de redistribution des richesses internes à un pays comme le nôtre, alors qu’évidemment il n’y a pas de redistribution entre un milliardaire russe et un brésilien vivant dans un bidonville.
A noter que ces chiffres concernent des catégories de moyennes de population. Il y a évidemment des différences propres dans ces catégories de ressources, surtout dans les plus hauts revenus. Si on compare les deux extrêmes des revenus, comme Chancel et Piketty les contrastes sont ahurissants. Un États-unien appartenant au pourcent des revenus les plus élevés émet en moyenne autour de 300 tCO2e/an (tonne de CO2 équivalent par an), soit cinquante fois plus que la moyenne mondiale, et 3 000 fois plus qu’un Rwandais appartenant au pourcent des revenus les plus bas. Sachant que le niveau d’émission soutenable par individu est estimé à 1,3 tCO2e/an, des changements très forts et structurels sont à prescrire.
La comptabilité à la consommation présente un problème, largement sous-estimé car rarement mis en avant, et pourtant : Quid des investissements ? En effet, soit les émissions liées aux investissements sont ignorées, soit elles sont attribuées au consommateur. Ceci exempte l’investisseur de toute responsabilité. Une autre méthode existe, appelée « comptabilité à la demande », attribuant les émissions de GES liées aux investissements…à l’investisseur. Ainsi, les émissions attribuées au consommateur sont celles qui concernent la production pure et dure des biens qu’il consomme, sans y inclure celles liées au capital qui a servi à les produire. On se doute qu’au travers de la comptabilité à la demande, le rapport entre les plus hauts et les plus bas revenus se verra accentué.
Cette lacune interroge, la littérature scientifique ne semble pas proposer d’étude mettant en évidence les émissions liées aux investissements, comme l’envisage la comptabilité à la demande. On trouve le projet WIOD, soutenu par l’Union européenne et mené entre 2009 et 2012, mais sinon cela se résume à peau de chagrin.