Plusieurs acteurs de la rénovation énergétique alertent les pouvoirs publics au sujet d’un risque de fraude massive sur le coup de pouce CEE « rénovation performante d’une maison individuelle ».
Après s’être attaqués aux gestes simples de rénovation, comme l’isolation, les éco-délinquants se sont-ils tournés vers des offres multi-travaux comme le coup de pouce « rénovation performante d’une maison individuelle » ? Pour plusieurs acteurs du secteur cela ne fait guère de doute. Petit retour en arrière. Fin 2020, les pouvoirs publics annoncent la mise en place de cette nouvelle offre, destinée à doper les rénovations globales en habitats collectif et individuel. Pour obtenir l’aide en maison, il faut notamment que les travaux permettent de réaliser 55% d’économies d’énergie par rapport à la situation initiale. Toutefois, considérant que le dispositif n’est pas assez bien bordé, les pouvoirs publics modifient ce coup de pouce courant 2021, dont la deuxième mouture, plus rigoureuse, entre en vigueur pour les opérations déclenchées à partir du 1er janvier 2022. Or, sur le terrain, certains acteurs auraient contourné le dispositif de deux façons : d’une part, en antidatant les dossiers de manière à bénéficier du premier coup de pouce, plus avantageux et moins bordé ; d’autres part, en faisant réaliser des audits initiaux gonflant artificiellement la consommation de la maison avant travaux (de manière à atteindre plus facilement les -55 %).
Une pratique d’antidatage
Sur une bonne partie de l’année 2022, jusqu’au premier trimestre 2023, nous avons vu passer de nombreux dossiers datés de manière à bénéficier de la première version du coup de pouce », témoigne par exemple Oussama Djeddi, président du bureau de contrôle Spekty. La fin de la période de « déposabilité » des demandes pour la première version de l’aide était fixée au 31 mars 2023. A l’appui de cette observation, la dernière lettre d’informations CEE, datant d’avril 2023, indique que cette fiche d’opération standardisée représente 5,13% du volume de CEE délivrés entre janvier 2022 et mars 2023 – sachant qu’en janvier 2022, cette fiche n’apparaissait pas dans les 20 premières comptabilisées dans cette même lettre. Un succès étonnant et rapide pour un dispositif représentant des travaux relativement complexes à réaliser. Mais qui peut s’expliquer par les niveaux de primes, tutoyant parfois les 100.000 euros pour un seul ménage. « Force est de constater que les garde-fous n’ont pas fonctionné », regrette Oussama Djeddi. « Le stock de CEE en attente de validation se situe en ce moment à 200TWh, un niveau assez important et en augmentation ces derniers mois », note pour sa part Romain Ryon, directeur des affaires publiques chez Effy. « La DGEC se rend peut-être compte qu’il y a un sujet, et enquête avant de valider les dossiers. »
Une situation « clairement préoccupante«
Un autre élément met la puce à l’oreille de certains acteurs : l’augmentation impressionnante du nombre de sociétés qualifiées RGE au titre d’auditeur énergétique. D’après les données de l’Ademe, 584 entreprises avaient obtenu le label en 2019, à comparer aux 2.443 atteints en 2023 (soit une augmentation de +318%). Une véritable petite industrie de la fraude à la rénovation globale, avec formation express d’auditeurs RGE conciliants, aurait-elle été mise sur pied, pour bénéficier d’alléchantes primes CEE ? « Certains auditeurs ayant réalisé les audits manquent d’indépendance, car ils sont liés à l’entreprise de travaux ou au mandataire CEE », assure Oussama Djeddi. Une observation partagée par Franck Annamayer, président de Sonergia, délégataire en CEE. « La situation est clairement préoccupante sur la rénovation globale ». En réaction, l’administration a travaillé, début 2023, sur un texte visant à garantir l’indépendance des bureaux de contrôles par rapport aux autres acteurs de la chaîne. Mais, d’après les professionnels, tel qu’il était rédigé lors de sa mise en consultation, il ne permettra pas de remplir cet objectif. « Les liens entre bureaux de contrôle et mandataires CEE ne sont pas couverts par le texte », remarque par exemple Franck Annamayer.
Effectuer des contrôles systématiques
Au-delà de la question de l’indépendance de l’auditeur, quelles solutions seraient à la disposition des pouvoirs publics ? Le fondateur de Spekty propose d’effectuer, sur le stock de demandes CEE datées de la première version du coup de pouce, des enquêtes systématiques avant délivrance. Ou encore, d’introduire des logiciels de calculs d’audits « fermés », de manière à ce qu’il soit impossible d’y introduire de fausses informations (sur la surface, le climat, les consommations, etc.). A plus long terme, « ce problème sur les auditeurs doit nous alerter sur ce que pourraient devenir, demain, l’accompagnateur rénov, ou le futur AMO pour MaPrimeAdapt' », note le chef d’entreprise. Autant de dispositifs qu’il faudra border en amont pour ne pas créer les conditions de l’apparition de nouvelles fraudes.
Source Batiactu Florent Lacas, le 10/05/2023